ANITA CONTI,
La Dame de la mer
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Je ne dédaignais pas d’assister parfois à une manifestation internationale qui ne se rapportait pas exactement à mes préoccupations scientifiques habituelles. Tout en m’instruisant, je profitais ainsi des agréments d’un congrès, renouant aussi avec quelques personnalités utiles.
C’est ainsi qu’au cours d’un petit voyage, avec mon épouse, en Yougoslavie je m’étais rendu à une manifestation organisée sur la biologie marine par le CERBOM à Portoroz. Parmi les participants figurait une personne considérée comme de premier plan dénommée Anita Conti.
Passionnée d’océanologie, elle avait disait-on, bourlingué sur toutes les mers du globe . Première femme océanographe, biologiste et écologiste avant l’heure . Attirant l’attention du public sur la surexploitation des océans, elle avait publié des reportages photographiques de toutes ses explorations au cours d’embarquements sur des chalutiers et même des dragueurs de mines, aimée et considérée des hommes de mer dont elle avait vécu le rude métier et qui l’avait appelée " la Dame de la mer ". Auteur de divers ouvrages sur les mers chaudes, l’océan, les bêtes et l’homme, c’était une sorte d’aventurière passionnée, courageuse et libre, qu’aucune barrière, paraît-il, n’arrêtait.
Les participants au congrès furent invités un jour à une petite croisière, à partir de Piran, dans les fjords yougoslaves, le long de la côte Adriatique, sur le bateau océanographique de la marine nationale.
Après visite du Centre de Recherches Marines, puis déjeuner, visite en bateau d’un fjord caractéristique, on revint la nuit à Piran. Lorsqu’on voulu y débarquer, la mer était si forte qu’elle obligea le navire à demeurer au large. Nous fûmes débarqués alors comme des naufragés dans de petits canots de sauvetage, en plastique, qui ne furent pas commodes à mettre à la mer en furie. J’imagine que cet épisode ne fut pas pour déplaire à Anita Conti.
Je devais faire plus profondément connaissance de cette dernière lors d’une réception, donnée par le maire de Piran avec visite de l’aquarium du Centre Océanographique de la cité.
Là, dans la longue conversation que j’eus avec elle, je pus me rendre compte de l’intérêt passionnel que cette petite femme diserte et sympathique , qui dépassait de plusieurs années les 70 ans, mettait en toute chose. J’appris aussi qu’ayant épousé un attaché d’ambassade noblement titré, sa vie aurait dû se dérouler de façon plus classique.
Anita s’intéressa vivement à mes travaux en énergétique et en discuta savamment et, bien entendu m’entretint en général de ses activités et, en particulier, de ses dernières recherches en mer Adriatique, notamment en aquaculture. On décida de rester en relations ; je lui envoyai par la suite un de mes ouvrages sur les travaux en question.
Elle m’en remercia, puis les occupations normales reprenant leur cours, je perdis de vue " la Dame de la Mer ", jusqu’à ce qu’un film de télé la révèle, il y a quelques années, sous le nom de " la Femme Océan "
Anita Conti devait décéder à la Noël 1997, à Douarnenez, à l’âge de 98 ans.
J’ai regretté de ne pas avoir gardé plus longtemps relations avec cette femme exceptionnelle qui m’avait confié son amour de tout ce qui se rapporte à la mer et qui aimait dire: " La mer est un miroir qui nous renvoie à notre propre ignorance. "