DE GAULLE,

En septembre 1945,le Général de Gaulle qui avait pris le pouvoir comme président du conseil du gouvernement de la République française, se rendit dans le midi de la France et fit, en particulier, une visite à notre ville.

Descendant par l’artère principale le général, en uniforme, était accompagné par une petite cour de personnalités, salué sur son passage par les applaudissements d’une foule peu nombreuse.

Quelques curieux déambulaient dans les allées latérales . Me trouvant au débouché d’une rue perpendiculaire à l’une d’elles, j’aperçus le général serrant ça et là des mains qui se tendaient vers lui quand il s’avança à mon niveau pour serrer la mienne. Il m’aurait fallu faire très rapidement le saut enthousiaste nécessaire pour parvenir jusqu’à la sienne : je ne le fis pas et il passa outre.

Quelle différence entre cet accueil de la ville et celle que reçut en 1940 Philippe Pétain et qui fut triomphal, comme la foule le faisait à un soldat victorieux dont elle vénérait le glorieux passé. Malgré les terribles erreurs, pour ne pas dire plus, du gouvernement de Vichy, la population régionale était restée fidèle au vieux Maréchal, ayant eu de surcroît le jugement faussé par la propagande répandue sur l’homme de Londres qui s’agitait loin des combats. J’avais moi-même désapprouvé la dissidence de ce général qui, en juin 40, secrétaire d’Etat à la guerre du gouvernement Paul Reynaud, avait manqué à son devoir de réserve. Bien que certains aient pensé à une secrète entente avec Pétain je crus d’abord que ce général était plus politicien que soldat :ses démêlés ultérieurs avec le général Giraud en Algérie ainsi que coup de Dakar ne plaida pas à mes yeux en sa faveur.

Avec le temps, je fus amené, avec beaucoup d’autres, à réviser mon jugement. J’étais indigné de ce que de Gaulle n’eut pas reçu des anglo-saxons toute l’audience que mérita pendant quatre ans le zèle qu’il mit à défendre et à représenter auprès d’eux notre pays avec sa foi inébranlable dans le succès des alliés. J’ai estimé, en fin de compte, qu’il était bon que la France soit représentée avec force au moment où les troupes alliées prirent le chemin de la victoire. Mais, malgré cette reconnaissance, me précipiter avec enthousiasme pour aller serrer la main du général aurait été de ma part un manque de sincérité.

Plus tard, en Algérie, pour forcer la main à de Gaulle, le général Massu appuyé par le général Salan mit au point en mai 1958, comme l’on sait, l’opération " Résurrection " selon laquelle avec ses " paras ", quelques colonels et l’appui, croyait-il, des troupes de métropole, il comptait investir Paris.

De Gaulle fit abandonner ce projet à Salan puis, investi des pouvoirs réguliers de la République il se pointa à Alger et l’on fit courir le bruit d’une certaine manifestation de mécontentement de sa part à son arrivée à l’aéroport.

Gagnant mon poste de travail ce matin là, je me trouvais à l’extrémité du pont d’Hydra quand le cortège officiel du général, longeant le bois de Boulogne pour gagner Alger, déboucha devant ma voiture. En tête de ce cortège, de Gaulle saluait les personnes présentes.  Massu était en queue et je le vis à travers les vitres de sa voiture, seul, les jambes et les bras croisés, assis sur le fauteuil arrière, baissant une tête frondeuse, un sourire sarcastique aux lèvres. Ainsi m’apparut-il comme le chef vaincu à la remorque du général victorieux, en ce matin ensoleillé du 4 juin 1958. Le soir même, sur la place du Forum le Général de Gaulle fit un discours devant une foule compacte. Etendant ses grands bras en forme de  " V ", il prononça le fameux " Je vous ai compris " qui déchaîna l’enthousiasme de la foule qui, de fait, ne comprit pas réellement cette phrase

Après 1962, j’étais en poste en France et j’avais un vieil ami ancien condisciple de lycée du général de Gaulle avec lequel il était resté en relations et dont il louait les vertus. Sur son offre j’essayai par son intermédiaire d’intéresser, sans trop de conviction, le général, alors Président de la République, aux publications, aux travaux et aux buts de l’association internationale dont j’avais la responsabilité et demandai son appui. Après avoir lu notre dossier, le Président répondit presque immédiatement par une lettre personnelle élogieuse sur la manière dont nous avions établi une collaboration féconde entre les chercheurs internationaux dans notre domaine d’activité

Après le parcours assez singulier de ces " Brèves Rencontres " avec le général de Gaulle, il me reste à reconnaître que cet homme, que beaucoup ont considéré comme providentiel, à été un des rares chefs d’Etat qui fit passer avant ses intérêts personnels ceux de sa patrie dont il voulut faire partager son amour avec tous les Français.

MA